Le Forum des professeurs de droit israéliens pour la démocratie, un groupe ad hoc et bénévole d'experts en droit israélien, et plus particulièrement en droit public israélien, est gravement préoccupé par les mesures potentielles visant à l'indépendance de la branche judiciaire du gouvernement, à son assujettissement au gouvernement et aux partis politiques au sein de l'exécutif et à la restriction de l'indépendance du conseiller juridique ministériel vis-à-vis du gouvernement et de ses ministères.
Ce document de position porte sur les propositions du ministre de la Justice et du président de la commission parlementaire de la législation, de la constitution et des lois, visant à modifier la composition de la commission de nomination, de promotion et de révocation des juges. Après un examen complet de la proposition, nous sommes d'avis que :
· Les propositions visent à changer radicalement le processus de nomination du pouvoir judiciaire israélien, en accordant au gouvernement un contrôle total sur la nomination, la promotion et la révocation des juges à tous les niveaux du pouvoir judiciaire, y compris la Cour suprême. Les propositions du ministre et du président du comité condamnent le pouvoir judiciaire israélien, tel qu'il a été formé depuis la création d'Israël, à l'oubli. Les tribunaux sont tenus de résoudre les litiges de manière équitable et sans préjudice, d'interpréter la loi de manière professionnelle et sans crainte, et d'appliquer un contrôle juridictionnel et constitutionnel sur l'action du gouvernement. Afin de mener à bien ces tâches, les juges doivent être professionnels et indépendants. Un mécanisme accordant au gouvernement la suprématie dans le processus de nomination, de promotion et de révocation des juges sapera cette indépendance, subordonnera le pouvoir judiciaire au gouvernement élu et fera de la séparation des pouvoirs en Israël une coquille vide.
· Accorder à la coalition parlementaire gouvernementale le contrôle de la nomination, de la promotion et de la révocation des juges entravera gravement la capacité du pouvoir judiciaire à remplir ses fonctions. Les juges qui opèrent sous la menace de se voir refuser une promotion ou même d'être démis de leurs fonctions s'ils ne se conforment pas aux intérêts du gouvernement élu ne sont pas des juges indépendants, et il est peu probable qu'ils soient en mesure de remplir leur rôle. En outre, même si ces juges se prononcent conformément à la loi et s'efforcent de statuer avec justice, la confiance du public dans le système judiciaire sera entravée.
· Confier le pouvoir de nommer les juges à des élus politiques dépourvus de la formation et de l'expérience professionnelles nécessaires pour évaluer la qualité des candidats à la magistrature pourrait aboutir à l'élection de juges de qualité inférieure et au rejet ou à l'absence de promotion de candidats plus méritants.
· L'absence d'un pouvoir judiciaire indépendant jouissant de la confiance du public portera atteinte à l'État de droit, à l'économie d'Israël, à la sécurité du public et à la protection des droits de l'homme.
· En l'absence d'un pouvoir judiciaire indépendant et de conseillers juridiques du gouvernement indépendants, tout le pouvoir exécutif sera concentré entre les mains du gouvernement. Dans de telles conditions, le gouvernement pourrait tenter de consolider son emprise sur le pouvoir exécutif, en portant atteinte à l’équitabilité des processus politiques pouvant mener à un changement dans l'identité du gouvernement. En fait, la majorité élue assoira presque définitivement sa domination du gouvernement. En outre, il n'y aura pas d'obstacle significatif à une politique gouvernementale qui ne profiterait intentionnellement qu'aux sous-sections de la société représentées par le gouvernement, tout en piétinant les droits d'autres secteurs de la société (permettant la "tyrannie de la majorité"). Dans de telles conditions, Israël ne pourrait plus être considéré comme une démocratie, ce qui entraînerait probablement une détérioration à grande échelle de l'économie et de la société.
· Les notes explicatives du projet d'exposé des motifs de la proposition de la Loi fondamentale : Le pouvoir judiciaire (amendement - réforme du droit) publié il y a quelques semaines par le Ministre de la Justice, indiquent que l'objectif des changements proposés dans la composition du comité de nomination des juges est de mieux intégrer les valeurs du public dans le processus, étant donné que les tribunaux se prononcent sur des questions à caractère public-politique. Cette considération est particulièrement pertinente dans les cas où la Cour suprême se prononce sur des questions d'intérêt public chargées de valeurs. Toutefois, les propositions du ministre et du président du comité ne se limitent pas aux cas où la Cour suprême traite des questions constitutionnelles en sa qualité de Haute Cour de justice d'Israël. Au contraire, elles s'étendent à la nomination, à la promotion et à la révocation des juges dans toutes les instances. En outre, contrairement à son objectif déclaré, la procédure proposée ne renforce pas la diversité dans la nomination du pouvoir judiciaire, ni n'améliore la mesure dans laquelle la composition des tribunaux reflète la société israélienne. Au contraire, elle sape l'objectif fondamental des constitutions dans les sociétés démocratiques, qui est d'empêcher l'abus de pouvoir par une majorité contingente agissant à l'encontre des principes fondamentaux de la société. Si le ministre et le président du comité avaient réellement souhaité améliorer la mesure dans laquelle la diversité de la société israélienne et ses différentes valeurs profondément ancrées se reflètent dans les décisions judiciaires constitutionnelles, ils auraient proposé d'incorporer des représentants des différents groupes qui composent la société israélienne dans le comité de nomination des juges, et d'établir un mécanisme de prise de décision basé sur un large consensus. Au lieu de cela, leur proposition se concentre uniquement sur le renforcement du pouvoir exécutif vis-à-vis du pouvoir judiciaire.
· La proposition s'inspire de l'implication des élus dans les nominations, les promotions et les révocations judiciaires pratiquées dans d'autres pays. Toutefois, dans ces systèmes, la participation politique se limite à la nomination de juges à des tribunaux qui traitent exclusivement de questions constitutionnelles, et sont séparés du reste du système judiciaire plus professionnalisé. Le système judiciaire israélien ne prévoit pas une telle séparation : La Cour suprême fonctionne comme une cour d'appel en matière civile, pénale et administrative et, dans une minorité de cas, comme un conseil constitutionnel ; les tribunaux d'instances inférieures ne sont certainement pas axés sur les questions publiques contestées en tant qu’issue majeure. Ainsi, la comparaison avec les modèles de nomination des juges dans d'autres pays est trompeuse et, dans la plupart des cas, non pertinente. En outre, l'application du raisonnement qui sous-tend la conception des conseils constitutionnels dans d'autres pays à l'ensemble du système judiciaire israélien non seulement ne parviendra pas à le rectifier ou à l'améliorer, mais le détruira.
· Débattre de la procédure de nomination des juges sans tenir compte de l'ensemble des changements proposés par le gouvernement masque la signification globale des différents changements proposés, car dans ce cas, le tout est bien pire que la somme de ses composantes. Les propositions du Ministre et du Président de la Commission concernant la nomination des juges sont accompagnées de propositions visant à limiter considérablement l'autorité de la Cour suprême en matière de contrôle constitutionnel de la législation ; à abolir le principe de raisonnabilité comme motif de contrôle juridictionnel ; et à adopter une clause dérogatoire permettant à la majorité parlementaire de passer outre à tout contrôle constitutionnel de la législation par la Cour suprême. Ces propositions renforcent, consolident et augmentent le pouvoir exécutif aux dépens des autres branches du gouvernement, sans mécanismes de contrôle, de limitation et de restriction du gouvernement élu. Il ne s'agit pas d'une proposition de réforme destinée à renforcer la démocratie israélienne, mais d'une mesure visant à la supprimer.
Un document de position détaillé en hébreu est disponible sur notre site web.
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