Le gouvernement israélien promeut actuellement une série de changements constitutionnels et juridiques de grande envergure. L'analyse de ces changements a conduit le Forum israélien des professeurs de droit pour la démocratie à conclure que leur adoption porterait un préjudice irréversible au caractère démocratique du régime politique en Israël.
Les principaux changements constitutionnels promus requièrent plusieurs amendements aux lois fondamentales (lois à caractère constitutionnel, ayant un statut supérieur aux lois ordinaires) et à certaines lois ordinaires, à savoir:
Amendement donnant à la majorité de la coalition un contrôle absolu sur la nomination des juges dans tous les tribunaux. La législation proposée modifierait la composition du comité de sélection des juges et donnerait à la coalition une majorité automatique dans les décisions sur la nomination des juges. Ce changement porterait atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire, nuirait au professionnalisme des juges et entraînerait la politisation du système judiciaire.
Amendement empêchant tout contrôle efficace de la constitutionnalité des lois. Selon le projet de loi, la cour suprême ne pourrait déclarer une loi invalide pour inconstitutionnalité qu'avec une décision unanime de ses 15 juges (et selon une autre version du projet de loi, qu’avec une majorité de 12 juges sur 15). Malgré un telle declaration la Knesset pourrait adopter de nouveau la même loi declarée inconstitutionnelle, grâce à un nouveau “pouvoir nonobstant”, et ce par une simple majorité garantie à toute coalition gouvernmentale. De plus, la cour suprême perdrait le pouvoir de contrôler les lois fondamentales, quel que soit leur contenu. Ces changements porteraient gravement atteinte à la capacité de la cour à protéger les droits de l'homme et les fondements de la démocratie.
Amendement affaiblissant le contrôle judiciaire des décisions du gouvernement et de ses ministres. Selon la législation proposée, l'extrême manque de caractère raisonnable d’une décision du gouvernement, d’un(e) ministre ou d’une autre autorité gouvernementale ne constituerait plus un motif de contrôle judiciaire de la décision. Ce changement permettrait à l'exécutif d’utiliser son pouvoir de manière défectueuse, arbitraire ou biaisée, sans tenir dûment compte des droits de l'homme ou de l’intérêt public.
L'affaiblissement considérable du conseil juridique au sein de l’exécutif et de sa fonction de gardien de l’état de droit. La législation proposée abolirait le statut du procureur général et des conseillers juridiques des ministères comme interprètes autorisés de la loi envers le gouvernement, rendrait leurs opinions non obligatoires et ouvrirait de larges possibilités pour les ministres de s’appuyer sur des conseillers juridiques privés et d’être représentés devant les instances judiciaires par des avocats privés. Selon les déclarations de responsables gouvernementaux, le gouvernement a également l'intention de rendre le processus de nomination des conseillers juridiques politique plutôt que professionnel. Ces changements permettraient au gouvernement et aux ministres d'agir illégalement, et pourraient encourager la corruption et ainsi nuire à la stabilité économique du pays.
Parallèlement à l'affaiblissement du contrôle juridique externe des tribunaux et du contrôle juridique interne des conseillers juridiques sur les actions du gouvernement, le nouveau gouvernement favorise d'autres mesures qui conduiront à la concentration d'un pouvoir excessif et incontrôlé par le pouvoir exécutif, y compris le renforcement du contrôle de l'échelon politique dans la police et l'armée, la fermeture de la société de radiodiffusion publique et la réduction de l'activité des organisations de la société civile.
Notre position est que chacun de ces changements donne en soi un pouvoir excessif à la majorité qui constitue la coalition. Alors que des réformes du système judiciaire pourraient être encouragées, les changements proposés ne sont pas du tout équilibrés. Pire encore, la combinaison des changements conduirait à la concentration d'un pouvoir presque illimité entre les mains du gouvernement, qui contrôle déjà aujourd'hui la Knesset, et pourrait désormais contrôler également le pouvoir judiciaire. Cela signifierait une grave violation des principes démocratiques fondamentaux de la séparation des pouvoirs, de l'état de droit et de la protection des droits de l'homme. En d'autres termes, les amendements à la législation, s'ils sont acceptés, modifieront fondamentalement le régime qui existe actuellement en Israël.
Une condition nécessaire, bien qu'insuffisante, pour l'adoption d'amendements législatifs qui changent fondamentalement le régime, est leur acceptation par un large accord, dans le cadre d'une procédure appropriée comprenant des discussions approfondies et la participation de tous les secteurs politiques et professionnels pertinents. Les amendements législatifs sont actuellement promus dans le cadre de procédures accélérées et défectueuses sans précédent qui s'écartent des voies législatives acceptées, contournent les mécanismes de consultation juridique et empêchent un débat professionnel et public approfondi sur chacun des amendements individuellement, et les conséquences cumulatives de tous les amendements dans leur ensemble.
Dans une tentative de donner une légitimité aux amendements à la législation, les représentants du gouvernement affirment que les amendements ne s'écartent pas de ce qui est accepté dans d'autres pays démocratiques. Cette affirmation est fausse. Il est vrai que certains des arrangements juridiques que le gouvernement promeut existent dans des pays démocratiques, mais dans aucun pays démocratique au monde n’existe-t-il une combinaison de tous ces arrangements. De plus, dans la plupart des pays démocratiques, d'autres mécanismes limitent le pouvoir de l'exécutif, comme une constitution complète et rigide, deux chambres législatives, un système présidentiel, une structure fédérale, ou des élections régionales. En Israël, aucun de ces mécanismes d'équilibre et de contrôle n'existe. L'adoption sélective d'arrangements qui renforcent le pouvoir du gouvernement dans des pays étrangers sans les arrangements et les mécanismes qui les équilibrent créerait une structure juridique défectueuse en Israël et le placerait aux côtés de pays qui ont connu un grave recul démocratique ces dernières années, tels que la Turquie, la Hongrie et la Pologne.
Enfin, il est important de souligner que les changements promus par le gouvernement peuvent être irréversibles. Avec l'affaiblissement des mécanismes d'équilibre et de contrôle, la coalition pourra faire passer sans encombre des mesures supplémentaires qui renforceront son pouvoir pour de nombreuses années. Certains des plans figurant dans les accords de coalition ou décris récemment par les membres de la coalition indiquent l’intention de la coalition de réduire la liberté d'expression des membres de l'opposition, d'exclure des programmes scolaires les contenus traitant de la démocratie et des droits de l'homme, voire de modifier la Loi fondamentale traitant des élections à la Knesset de manière qui à empêcher certains partis actuellement dans l'opposition de participer aux futures élections. Comme en témoigne l'expérience d'autres pays qui ont connu un recul démocratique, la limitation du pouvoir des tribunaux ne pourrait être que la première étape sur la voie de l'abolition de la démocratie à long terme.
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